Introduction
La santé économique et la santé du Vietnam en général est un sujet cher aux yeux de KNOK STUDIOS.
C’est pourquoi aujourd’hui, dans un article un peu spécial, nous désirons aborder l’épineux sujet de la corruption, qui représente un frein important au développement économique d’un pays, quel qu’il soit. Mais pas que : également source d’inégalités, la corruption met enfin l’humanité dans une situation périlleuse en termes de développement durable, lorsque le bénéfice du jour se fait au détriment du lendemain. On estime que la corruption représente à elle seule au moins 3% du P.I.B mondial.
Mais plutôt que de nous attarder sur les problèmes qu’elle cause, nous avons décidé de nous attarder sur les solutions pratiques qui peuvent être mises en places (ou sont déjà mises en place) pour endiguer le phénomène.
Etant particulièrement endémique en Asie, il n’y a cependant pas de fatalité au sujet de la corruption.
En effet, lors des 50 dernières années, de nombreux pays du continent ont su faire preuve d’un volontarisme à toute épreuve en la matière, avec des résultats en termes économiques et de gouvernance que l’on salue tout autour du monde : Singapour, Hong Kong, ou la Corée du Sud.
Dans ce dossier, nous proposons de faire un bref état des lieux de la corruption au Vietnam, avant de proposer des pistes de réflexions et des solutions concrètes. Nous nous baserons pour ce faire sur les études des plus grands spécialistes de la question et sur des exemples empruntés à divers pays à travers le monde.
Quelle est la situation de la corruption au Vietnam ?
Comment mesurer la corruption ? L’indice de perception de la corruption de Transparency International.
Transparency International est sans conteste l’organisation qui fait le plus autorité dans le domaine de l’analyse de la corruption dans le monde.
Chaque année depuis 1995, Transparency International propose un rapport extrêmement complet faisant état des phénomènes de corruption tout autour de la planète.
L’indice, élaboré selon des experts et des hommes d’affaires, mesure le niveau perçu de corruption dans le secteur public. Il classe 180 pays et territoires sur une échelle allant de 0 à 100, où 0 est considéré comme le plus corrompu, et 100, l’exemplarité parfaite.
En guise de repère, il faut considérer que dans l’IPC de 2018, plus des deux tiers des pays avaient un score inférieur à 50, avec un score moyen de seulement 43.
Quel est le classement et la note du Vietnam dans l’indice de perception de la corruption ?
En 2018, le Vietnam se positionnait en 107ème position sur 180, avec un score de 33/100.
A titre de comparaison, la France se situait quant à elle au 21ème rang avec une note de 72/100.
Parmi les autres pays en développement de la zone, le Vietnam occupe le milieu de tableau :
Pays | Chine | Indonésie | Philippines | Thailande | Vietnam | Laos | Myanmar | Cambodge |
Score | 39 | 38 | 36 | 36 | 33 | 29 | 29 | 20 |
Dans son dernier rapport de 2018, Transparency International arrive aux conclusions suivantes :
« Le Vietnam a adopté une approche ferme en matière de poursuites et de punition des personnes corrompues au cours des dernières années. Cependant, cela ne suffit pas pour lutter efficacement contre la corruption.«
« Le Vietnam a été impliqué dans plusieurs récents scandales de corruption impliquant le Danemark, le Japon et les États-Unis. En 2015, les autorités japonaises et américaines ont constaté que des entreprises versaient des pots-de-vin à des représentants du gouvernement vietnamien en échange de contrats gouvernementaux ou d’aide au développement. En outre, plus récemment, en 2017, la Banque mondiale a exclu une société de consultants danoise pour son implication dans la corruption de représentants du gouvernement vietnamien.«
La corruption au Vietnam en Chiffres :
- 20% des ménages ayant eu des contacts avec des services fiscaux en 2009 ont déclaré avoir versé un pot-de-vin au cours des trois dernières années (T.I, 2010).
- Plus de 40% des répondants au Baromètre mondial de la corruption de 2010 ont déclaré avoir versé un pot-de-vin à au moins un des neuf fournisseurs de services différents au cours des 12 mois précédant l’enquête (T.I, 2010).
- 88% des citadins vietnamiens estiment que les fonctionnaires sont corrompus (T.I, 2010).
- 41,4% des entreprises déclarent avoir payé des commissions sur des marchés publics (USAID 2011).
- La corruption est le 3ème sujet le plus préoccupant au Vietnam (16%), derrière l’emploi (24%) et la pollution de l’air (17%)(Mekong Development Research Institute in Vietnam 2018)
Quels sont les secteurs les plus touchés ?
Selon les perceptions des citadins vietnamiens, la police est le secteur le plus touché par la corruption (score de 3,8 sur une échelle de 1 à 5), suivie de l’éducation (3,3), des fonctionnaires (3), du pouvoir judiciaire (2,8) et du secteur des entreprises (score de 2,6) (T.I, 2010). Le secteur de l’import / export est également touché par la corruption, il est donc préférable de faire appel à une société de logistique vietnamienne pour assurer vos expéditions.
Des signaux positifs
Année | 2018 | 2017 | 2016 | 2015 | 2014 | 2013 | 2012 |
Score | 33 | 35 | 33 | 31 | 31 | 31 | 31 |
Source : Transparency International
En ce qui concerne les efforts de lutte contre la corruption au Vietnam, le cadre juridique s’est considérablement amélioré ces dernières années avec l’adoption de la loi anti-corruption en 2005 et de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption à l’horizon 2020, qui constituent des avancées majeures. Cette dernière avance en particulier 5 mesures :
- i) renforcer la transparence des autorités et des agences;
- ii) parachever le régime de gestion économique;
- iii) créer un environnement commercial équitable et compétitif;
- iv) améliorer la supervision, la surveillance, mener des enquêtes et des poursuites dans les affaires de corruption;
- v) sensibiliser la société à son rôle dans la lutte contre la corruption.
Par ailleurs, le cadre juridique de lutte contre la corruption au Vietnam est considéré comme fort par le Global Integrity Report (2009). Des améliorations ont également été soulignées dans la récente déclaration sur le climat de l’investissement du Département d’État américain (2011). En effet, selon cette publication, le cadre juridique actuel figure parmi les meilleurs cadres juridiques en matière de lutte contre la corruption en Asie. Cependant, le cadre juridique – parfois très théorique – ne suffit pas seul à lutter efficacement contre la corruption.
Enfin, selon l’étude de la Mekong Development Research Institute in Vietnam menée en 2018, 68% des interrogés avaient bon espoir de constater une réduction de la corruption au Vietnam dans les 5 prochaines années, grâce aux efforts gouvernementaux.
Comment endiguer le phénomène de la corruption ?
Nos conclusions se départageront en trois axes principaux, qui ne sont évidemment pas exhaustifs.
Aussi, et vous le verrez, ces remèdes ne sont pas des solutions miracles, car de nombreuses limites existent. A nouveau, la corruption et sa résolution sont des sujets complexes.
Nous verrons que la volonté d’endiguement passe tout d’abord par la redéfinition du rôle de l’Etat dans l’économie, par un développement d’un système équilibré d’incitations à l’honnêteté doublé de sanctions justes ensuite, et enfin par la promotion de la transparence à tous les niveaux.
1. Un nouveau modèle étatique
A. Une refonte de la régulation économique par l’Etat : les effets positifs de la libéralisation.
Constat :
Selon les économistes Maura, Kaufmann et Wei, l’indice de corruption et l’indice de régulation du gouvernement sont positivement corrélés.
En effet, selon leur étude, une réglementation gouvernementale plus poussée engendre une diminution des opérations de marché libre, et donc, davantage de corruption.
A titre d’exemple, étudions le cas de l’intervention de l’Etat dans les politiques d’industrialisation. De nombreux pays asiatiques ont poursuivi d’actives campagnes d’industrialisation à partir des années 50, qui, par nature, nécessitent la discrétion des dignitaires. Les décisions en relation avec le secteur à privilégier, les firmes à aider (et dans quelle mesure) impliquent cet état de fait.
Et naturellement, où le secret règne, la corruption à de meilleures chances de se développer. Ce lien entre politique d’industrialisation et corruption est affirmé par Ades et Di Tella (1997) : les pays avec des politiques très actives d’industrialisation sont plus touchés par la corruption. L’effet négatif pourrait représenter entre 56 à 84% du bénéfice direct.
Solutions :
- Dès lors, la préconisation est la dérégulation de l’économie. Cela signifie abolir toute intervention prohibitive du gouvernement, permettant aux forces du marché de fonctionner efficacement.
En effet, sur un marché libre, les acteurs vont porter les rendements des facteurs à un niveau concurrentiel et il n’y aura pas de rente possible, donc pas de corruption possible (sans oublier la disparition des pénuries ou des queues pour les marchandises régulées, ainsi que celle des marchés noirs qui en résultent).
La dérégulation permet également de réduire le pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires et donc les abus de pouvoirs. Alors, les citoyens ne seront plus incités à corrompre les fonctionnaires.
Par exemple, l’abolition de licences d’importations signifie un allègement des barrières, on pourra donc importer la quantité souhaitée sans devoir au préalable s’assurer les faveurs des douaniers.
Limites :
- Naturellement, de par son objectif de garantir l’application du principe de légalité, l’État ne peut pas voir son rôle totalement restreint. Il ne faut pas supprimer toutes les règles mais bien les renforcer en les simplifiant.
B. Une refonte de l’environnement légal : simplifier et légaliser, les exemples de Hong Kong et de Singapour
Constat :
Plus les lois sont compliquées, confuses ou ambiguës, plus l’incertitude qui frappe les agents économiques vont inciter des occasions de corruption. Si les règles et lois sont chaotiques, les procédures visant à éventuellement sanctionner la corruption seront longues (selon Tanzi 1998).
Solutions :
- Un travail qui peut porter ses fruits consiste donc tout simplement à réécrire les lois afin d’éviter les diverses interprétations qui pourraient favoriser ou laisser passer la corruption.
Dans les années 2010 au Vietnam, le « Project 30 » a simplifié près de 5 000 procédures administratives, ce qui a aidé les citoyens et les entreprises à réduire de plus de 37% leurs dépenses, soit environ 1,44 milliard de dollars américains par an.
- Un autre moyen extrêmement simple et efficace d’éliminer la corruption est de légaliser les activités prohibées ou contrôlées, qui nécessitaient traditionnellement l’usage de pots de vins.
Ainsi, Klitgaard (1988) note que lorsqu’Hong Kong légalisa les paris clandestins, la corruption de la police chuta de manière significative. De même, Singapour fît chuter sa corruption aux douanes en permettant l’importation de plus de produits duty free.
C. Une modification de la structure décisionnelle : contrôles réciproques et atomisation des compétences des agents publics.
Constat :
Rose-Ackerman (1978) montre qu’attribuer aux fonctionnaires une tâche très spécifique dans laquelle ils auront beaucoup de pouvoir (voire un monopole), mène irrémédiablement à des abus. De plus, lorsque la cohésion entre les agents est faible, ou l’entente de part leur nombre impossible, la corruption tendra vers 0.
Solutions :
- Donner des compétences concurrentielles de sorte à ce qu’un client mal servi puisse se retourner vers un autre agent.
- Créer un système de superposition des compétences ou des niveaux de compétence pour rendre impossible à un agent d’assurer la corruption de tous les maillons qu’il nécessite pour mettre a exécution son projet. Par exemple, la superposition à des niveaux locaux, fédéraux et nationaux d’agences de lutte contre la drogue a permis une réduction de la corruption de la police aux Etats-Unis.
- Faire travailler les agents publics par groupe ou paires, comme c’est le cas pour les douanes à Singapour, peut également apparaître comme une solution pouvant limiter la corruption, même s’il existera forcément des accords au sein même de ces groupes.
- Favoriser le turn-over des fonctionnaires, afin qu’ils n’aient pas le temps de s’habituer aux usagers, en limitant ainsi les opportunités d’apparition du clientélisme.
Limites :
- Dans une situation d’extrême complexité administrative, ceci induirait une inefficacité économique, pour l’entrepreneur (vetos multiples) comme pour L’État (coûts fixes, problèmes de coordination). Les « clients » pourraient se fatiguer des files d’attentes et encore une fois se retourner vers des agents corrompus qui accéléreraient les procédures.
- Un point négatif du système de Turn-Over serait l’apparition de fonctionnaires pillant les services les uns après les autres, une désincitation au travail (surtout si leurs salaires sont insuffisants), ou encore une perte au niveau des courbes d’apprentissage.
2. Incitations et répression.
Dans tous les combats contre la corruption, la capacité d’un État à détecter les actes de corruption et à poursuivre les coupables est essentielle, et requiert l’indépendance et de l’impartialité du système judiciaire. Mais on peut également agir en amont et prévenir le risque de corruption.
A. Assurer un équilibre social via le salaire d’efficience.
Constat :
Il est naïf de donner du pouvoir aux gens, de les payer à un salaire minable, et attendre d’eux qu’ils n’utilisent pas leur pouvoir à leurs fins personnelles. Ainsi, en Chine, du XVIIème au XXème siècle, sous la dynastie Qing (ou Ch’ing), certains fonctionnaires se voyaient octroyés une prime appelée « Yang-lien yin », littéralement « argent pour nourrir l’honnêteté ».
Si une étude comparant les pays de Rauch et Evans (1997), ne trouve pas de preuve robuste de cette hypothèse, un rapport de 1997 de la Banque Mondiale pour le Développement ainsi que les travaux de Van Rijckeghem et Weder (1997) montrent que les pays ayant des fonctionnaires mal payés sont enclin à avoir un taux de corruption supérieur.
Solution :
- Mieux payer les fonctionnaires et agents publics en règle générale, tout simplement.
Ainsi, Singapour, dans les années 60, sous la direction du premier Ministre Lee Kuan Yew, et Hong Kong dans les années 70 ont commencé à mieux payer leurs fonctionnaires, et à leur octroyer des avantages ou primes à l’ancienneté, et ce parfois même à un niveau supérieur à leurs équivalents dans le privé.
On entend souvent d’ailleurs que les salaires de ministres Singapouriens sont proches de ceux des PDG des plus grandes firmes multinationales dans le monde.
De même, le salaire du premier ministre dépasse plusieurs fois celui du président des Etats-Unis.
Et ce constat ne se limite pas à l’Asie. Par exemple, selon Tanzi (1998) et Assar Lindbeck (1998), le très faible niveau de corruption de la Suède de 1870 à 1970 est attribué au fait que les plus hauts fonctionnaires de l’État gagnaient 12 à 15 fois le salaire moyen d’un ouvrier. C’est pourquoi on soutient que la politique de salaire est un moyen efficace pour lutter contre la corruption.
De plus, avec un salaire plus élevé pour le public à poste égal que pour le privé, Haque et Sahay (1996) concluent que cela permettra d’attirer des employés hautement qualifiés, notamment des entrepreneurs de formation, ce qui permettrait selon Acemoglu et Verdier d’aiguiller convenablement l’État sur l’allocation des ressources.
Lee Kuan Yew fut le premier artisan de la réussite de Singapour. Décédé en 2015, chef d’état durant 30 ans et figure incontournable, il aura fait de son pays un exemple dans le domaine de la lutte contre la corruption. Singapour figure aujourd’hui au 3ème rang ex-aequo des pays les moins corrompus, avec la note de 85/100 en 2018.
Pour en savoir plus sur le salaire d’efficience, il est nécessaire de se référer aux travaux de Becker et Stigler (1974) :
« La réponse fondamentale est d’augmenter les salaires des travailleurs au-delà de ce qu’ils pourraient gagner ailleurs, ainsi une différence de salaire implique un coût de la perte de l’emploi, un coût qui doit être supérieur aux gains d’un détournement ».
On peut modéliser cet équilibre avec l’équation suivante :
w e = w 0 + [(1 – p) / p].b
Avec W e le salaire d’efficience, w 0 la tentation de commettre un détournement, p la probabilité pour le gouvernement de découvrir l’acte de corruption, et b le montant du pot de vin.
Limites :
- En matière de politique salariale, pour des questions d’inflation ou tout simplement de moyens, tout n’est pas possible.
A titre d’exemples, selon les calculs de Van Rijckeghem et Weder sur le montant du salaire qui dés-inciterait les pratiques de corruption chez les fonctionnaires (avec comme base Singapour), il faudrait augmenter les salaires indiens de 395%, ceux du Sri Lanka de 496%, ou encore 498% pour la Turquie, et plus de 900% pour le Mexique et le Ghana (respectivement 908 et 975%). De telles augmentations de salaires peuvent ne pas être fiscalement réalisables pour les pays.
- Ensuite, un tel déséquilibre entre secteur privé et secteur public peut entraîner une fuite des cerveaux du secteur privé au secteur public néfaste pour l’économie, car il y a une mauvaise allocation des talents (souligné par Acemoglu (1998) et Verdier (2000)
- Une politique de salaires élevés pourrait en effet créer un nouveau marché de corruption : les décisionnaires pourraient être payés pour octroyer les postes attractifs.
- Une politique de salaires élevés pour les fonctionnaires ne peuvent les inciter à refuser les pots de vin uniquement que si le risque d’être pris est grand et que les sanctions sont lourdes. On pourrait voir apparaître des demandes des pots-de-vins très forts pour jouer comme compensation avec un risque devenu très lourd (Cf. équation précédente et Mookherjee 1995). Par conséquent, considérer le schéma des salaires comme un élément de la stratégie anti-corruption doit toujours être envisagé en même temps que la probabilité d’arrestation.
- Un dernier argument qui limite encore une fois cette solution est avancé par Besley et McLaren (1993), qui montrent qu’un salaire dérisoire – si bas que seuls des citoyens corrompus accepteraient l’emploi – peut maximiser le revenu total des taxes, net des salaires payés aux collecteurs d’impôts. Ce peut être en effet le cas si par exemple, le nombre d’entreprises devant payer l’impôt (les entreprises en bénéfice) est faible et que les collecteurs d’impôts soient corrompus et mal payés. Un équilibre qu’on peut retrouver aisément dans les pays en développement.
B. La rôle de la communauté internationale.
Constat :
Dans un monde globalisé où presque tous les pays participent à l’économie de marché, les interdépendances et les régulations internationales s’imposent à tous.
Dès lors, des organisations internationales telles que le PNUD, la banque mondiale, le FMI, la Banque de Développement Asiatique, peuvent avoir un réel impact sur la politique d’un pays.
Cela peut se faire par le biais d’une dissuasion morale, mais également par une assistance technique afin d’aider les pays dans leur lutte contre la corruption.
Solutions :
- Organiser des conférences ou des programmes sur la bonne gouvernance et la corruption.
- Supprimer ou menacer de supprimer des prêts octroyés FMI ou de la Banque Mondiale envers les pays peu disposés à coopérer.
- Criminaliser au niveau international l’offre de pots-de-vin de la part des entreprises envers les pays cibles.
Par exemple, depuis décembre 1997, les Etats Unis, qui sont la principale source d’IDE (Investissements Directs à l’Etranger) au monde ont adopté une loi qui interdit ses compagnies de corrompre des officiels étrangers (« The Foreign Corrupt Pratices Act »), alors que pour la plupart des pays de l’OCDE, également grand contributeurs aux flux d’investissement vers l’étranger, cela n’a pas été déclaré illégal.
La banque mondiale a coopéré avec les instances vietnamiennes pour créer un programme de lutte contre la corruption à grande échelle.
Limites :
- Il faut noter que les espoirs dans une telle coordination international sont limités, et qu’en pratique les effets de ces politiques de dissuasions le seraient probablement tout autant. Par exemple – malheureusement – la loi américaine évoquée supra n’a pas été très efficace pour réduire la corruption dans les pays étrangers, probablement à cause d’un manque de concertation au niveau international. Les entreprises américaines souffrant du poids de cette loi auraient pu ne pas en tenir compte afin de ne pas laisser s’échapper les contrats aux mains investisseurs d’autres nations. Ainsi, un vrai traité international qui bannirait la corruption vers l’étranger permettrait peut être enfin d’apporter des résultats.
- Le fait par exemple de restreindre ou d’interdire les prêts internationaux envers les pays ayant une politique discutable en matière de corruption semble tout bonnement irréalisable si l’on veut établir une discipline globale, tant le nombre de pays concernés est grand. De plus, il va sans dire que couper les vivres de ces pays pourrait impliquer des conséquences désastreuses.
C. Une révision des sanctions.
Constat :
Une plus forte probabilité de se faire attraper et une augmentation des peines encourues réduit les pratiques de corruption,
- Créer un cadre permettant un meilleur contrôle.
Par exemple, en 2005, la loi anti-corruption vietnamienne a œuvré sur trois champs particuliers.
Tout d’abord, elle a érigé au rang d’infraction pénale plusieurs types de corruption. Ensuite, elle a établit des obligations de divulgation des avoirs des agents de l’État. Enfin, elle a favorisé un cadre permettant de mieux protéger les dénonciateurs.
- Renforcer les sanctions.
Les avocats avancent souvent que le moyen le plus efficace de réduire la corruption est de renforcer les sanctions légales. Si par exemple le poids de la sanction est égal au montant du pot de vin (f = b), plus personne n’en acceptera. Si (1 – 2p)b + p(W0-w) < 0. Donc pour p > ½, on élimine la corruption (avec : p = probabilité que l’état découvre, W0 = tentation de frauder, w = salaire, b = pot de vin).
Limites :
- Selon Andvig et Karl O. Moene (1990), la punition attendue pour acte de corruption décline en fonction du nombre de fonctionnaires corrompus, car il est moins coûteux d’être démasqué par quelqu’un de corrompu que par un supérieur non corrompu.
- Egalement, il faut considérer à quel point un système de surveillance et de sanction peut être complexe et coûteux. A commencer par le fait que le contrôle s’effectue via de nouveaux employés, qui de plus peuvent eux aussi être corrompus, de tel sorte que ce système destiné à lutter contre la corruption peut la renforcer (Laffont et Guessan 1999). Il faut alors dans l’idéal que les victimes de la corruption soient incitées à dénoncer les abus, car même si cela implique des investigations, le coût sera inférieur à celui de contrôles aléatoires comme l’ont montré Mookherjee et Png (1992).
3. Promouvoir la transparence
La corruption trouvant un terrain favorable dans les cercles privés ou dans des environnements où règne le secret, promouvoir la transparence et l’éducation sont des moyens parmi les plus efficaces pour enrayer le phénomène.
A. Informer et sensibiliser.
Solutions :
- Assurer la liberté des médias, sous réserve que la confiance en ces institutions soit restaurée, afin de révéler les cas de corruption au grand jour, et sous réserve encore une fois qu’une fois détectés, ces cas soient réprimés.
- Créer des organes ad-hoc anti-corruption tels que la commission indépendante de lutte contre la corruption de Hong Kong (ICAC), ou la Vietnam Anti-Corruption Initiative Program.
- Créer des « hotlines » permettant aux citoyens de se plaindre directement au gouvernement, comme dans les cas mexicains et anglais.
- Mener des enquêtes publiques d’opinions telles que celles menées par le centre des affaires publiques de Bangalore (Inde) ou de l’institut pour le développement économique de la banque mondiale pour sensibiliser les masses au problème.
B. Améliorer l’exemplarité des politiques : l’importance de la réputation.
Constat :
La perception de la corruption est évidemment lourdement impacté par la réputation des élites et / ou partis en place. Il est nécessaire qu’une population puisse accorder sa confiance aux personnes qui la représentent et la gouvernent.
Solutions :
- Renforcer les efforts de régulation interne dans les partis.
Dans le cas du Vietnam, ces dernières années ont été marqués par des « procès pédagogiques », ayant pour but d’inciter à la démission, de destituer, ou tout simplement de punir les éléments corrompus. Tel fut l’exemple de Trinh Xuan Thanh, à l’origine du détournement d’environ 145 millions d’ euros de l’entreprise publique PetroVietnam et ayant fui en Allemagne. Kidnappé par la police secrète vietnamienne et arrêté, il fut est extradé vers le Vietnam le 23 juillet 2017 pour y être jugé. En déployant de tels efforts, on peut supposer un effet positif sur l’opinion publique, et une crainte chez les agents déviants.
Limites :
- Néanmoins, la réputation implique un système fragile. Tirole postule en effet qu’un « choc » peut supprimer la dynamique vertueuse qui s’était engagée. Une trahison peut annuler tous les bénéfices cumulés jusque là. Tant que la réputation s’améliore, le phénomène est lent et cumulatif, alors que lorsqu’elle se détériore, sa chute est brutale et immédiate. Dans ces conditions, le choc négatif révélant la nature vénale d’un politicien aura des conséquences asymétriques irrattrapables (un choc positif pouvant rétablir l’équilibre est improbable), et donc on aura un effet négatif sur la croissance.
Cependant, ces chocs négatifs peuvent être paradoxalement bénéfiques, dans un contexte de gel du jeu politique, ce choc peut servir de base à l’enclenchement d’une dynamique vertueuse.
C. Lutter contre l’instabilité politique.
Constat :
Selon Mo, le canal de corruption qui impacte le plus négativement sur la croissance est l’instabilité politique, à hauteur de 53%.
Solution :
- Pour pallier à ce problème, il faut donner artificiellement une durée de vie longue au gouvernement.
Dans cet esprit, une Constitution qui fixe une durée irrévocable pour un mandat, évite, à court terme, les phénomènes de « départ avec la caisse ». Il faut donc déterminer une durée optimale d’une législature, par un arbitrage entre l’effet bénéfique de l’allongement du mandat d’une part (qui permet donc le report d’un départ avec la caisse), et d’autre part, de l’intérêt qu’il y a à éliminer, par des élections fréquentes, les politiciens inefficaces.
Conclusions
Comme l’économiste Aidt l’a lui-même conclu, éliminer la corruption est un processus coûteux … mais la laisser en place l’est aussi !
Dès lors, à nouveau, la complexité du problème refait surface. Il s’agit donc de voir à l’échelle de chaque pays quel équilibre trouver.
C’est pourquoi dans certains cas, un gouvernement bienveillant choisira de permettre à la corruption de persister dans une certaine mesure. C’est ce que Shleifner et Vishny (1998) appellent « helping hand theory of corruption », car on maintient l’hypothèse qu’un gouvernement bienveillant veut certes réduire la corruption, mais veille également d’autre part à implanter des politiques de bien être général, et à l’optimisation de ses institutions.
Dans cette logique, il apparaît même que la corruption peut être bénéfique économiquement dans certains pays.
Il s’agit de la théorie « Grease the Wheels » (littéralement : graisser les rouages), qui s’oppose à celle de « Sand in the Wheels » (sable dans les rouages), dont les principaux postulats sont les suivants :
- La corruption pourrait aider à surmonter les bureaucraties aux règlements complexes : Selon Huntington : « En termes de croissance économique, la seule chose qui soit pire qu’une société avec une bureaucratie rigide, surcentralisée et malhonnête est une bureaucratie rigide, sur-centralisée, et honnête ». Alors, la corruption pourrait servir de « speed money ».
- La corruption pourrait éliminer le phénomène de sélection adverse : Selon Leys et Bailey, si les salaires sont bas, seuls les moins qualifiés seront attirés. Si la corruption est vue comme une « prime », elle permet d’attirer des agents plus compétents et donc plus efficaces.
- La corruption peut racheter des décisions jugées injustes : Selon Leff et Bailey, des agents publics prompts à pratiquer de la discrimination (sexuelle, religieuse, raciale ou autre) peuvent revoir leur décision en cas de paiement de pot-de-vins.
- La corruption peut corriger les erreurs d’un gouvernement : Selon Leff observant notamment le Chili et le Brésil, dans certains cas (politique de quotas douaniers, de contrôle des prix par l’Etat), la corruption d’agents permet de rétablir une situation « normale », arguant que les décisions d’un Etat ne sont pas toujours les meilleures …
- La corruption peut permettre d’attribuer des chantiers publiques aux entreprises les plus solides : Selon Beck, Maher et Lien en 1986, en engageant l’entreprise la plus généreuse en pots de vins, l’État s’assure donc en théorie de la réussite du projet.
En conclusion, il apparaît que la lutte contre la corruption est un chantier qui ne peut que s’étaler sur une période de temps très longue, car les risques et les effets pervers des meilleures intentions sont légions.
Il appartient alors à chaque gouvernement d’avancer avec prudence dans la résolution du problème, en se laissant le temps d’observer les conséquences de chaque mesure pour s’assurer d’aller dans la bonne direction.
En Savoir Plus au Sujet de la Corruption en Asie :
- What’s the cost of corruption? (Quel est le coût de la corruption ?)